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Vamp! I


Cover VampI


Extrait : Rencontre avec le vicomte


Dans une chambre à coucher du Château Waldstein.



"...Sérieusement."


Cargilla et les autres s'étaient infiltrés dans le château, en amenant tout leur équipement d'extermination.


"C'était beaucoup trop simple."


Ça faisait à peine une minute qu'ils avaient pénétré dans le château ; et ils se tenaient déjà devant un cercueil blanc.




Un instant plus tôt.


En descendant de leurs véhicules, les exterminateurs se trouvèrent face à face avec un château pareil à ceux qu'on trouve dans les contes de fées. Il s'agissait apparemment d'une attraction touristique, mais l'entrée était gratuite et il n'y avait aucune mesure de sécurité notable. Ils avaient le champ libre pour aller n'importe où. C'est comme si le château se trouvait juste là, entouré par ces magnifiques jardins. D'après le maire, il avait temporairement fait interdire l'entrée sous prétexte de rénovations. Les exterminateurs purent constater que le château était effectivement désert, et qu'ils étaient les seuls à se balader à l'intérieur.


Mais la démesure du château lui-même les impressionnait ; ils furent peu à peu saisis d'une peur sans commune mesure avec ce qu'ils avaient pu ressentir dans leurs missions passées. Les vampires qu'ils avaient éliminés jusqu'à présent vivaient généralement dans des huttes en bordure de villages, dans des vieux manoirs, des moulins ou des grottes en montagne. Il étaient parfois tombé sur des tanières un peu plus inhabituelles comme des appartements, des parkings souterrains ou des usines abandonnées, mais c'était la première fois dans l'histoire de leur entreprise que leur cible résidait dans un endroit aussi cliché.


Mais ce qui les fit réellement frissonner jusqu'à l'os, c'est lorsqu'ils pénétrèrent dans la zone interdite d'accès aux visiteurs du château, vers l'arrière du bâtiment ; et que dans la première salle qu'ils examinèrent, ils tombèrent directement sur le grand cercueil blanc.





Exterminators

"Et maintenant qu'est-ce qu'on fait, chef ?"


"...Comme si je devais vous le répéter..."


Incapable de masquer sa confusion, Cargilla s'approcha silencieusement du cercueil. Les autres exterminateurs semblaient tout aussi surpris, se demandant s'ils étaient tombés dans un piège ou s'il s'agissait d'un gigantesque canular organisé par leurs clients, peut-être même avec la complicité du maire. Mais une personne parmi eux - Shizune - restait à l'écart et observait, en fixant le cercueil blanc d'un air sombre.


Cargilla et les autres l'examinèrent avec prudence, mais celui-ci semblait en parfait état. Étrangement, le couvercle était recouvert de nombreuses empreintes de chaussures, mais Cargilla remarqua quelque chose de plus inquiétant et cria à l'adresse de ses comparses.


"...Hé, c'est quoi ce truc ? De la colle à bois ?"


Une matière qui ressemblait à de la résine remplissait l'écart entre le couvercle et la base du cercueil. C'était transparent, un peu comme de la super glue, et on aurait dit qu'elle scellait entièrement le cercueil, comme pour empêcher ne serait-ce qu'une goutte d'eau d'en sortir. Non seulement le couvercle était complètement collé à la base, mais le cercueil lui-même était bien robuste. Il leur faudrait plus qu'un pied de biche pour ouvrir une caisse pareille.


"...Qu'est-ce qui se passe ici ?" demanda nerveusement l'un des exterminateurs. Cargilla n'avait aucune remarque spirituelle à lui offrir. Val leva des yeux remplis d'anxiété vers leur chef pensif et prit la parole d'un ton hésitant.


"Est-ce que c'est vraiment un vampire là-dedans ? Et si nos clients ou bien le maire avaient commis un meurtre ou un truc du genre et essayaient de nous faire porter le chapeau ?"


"Nous avons vérifiés toutes les infos concernant la mission. Et puis, s'ils avaient un peu de cervelle ils jetteraient le corps quelque part en pleine montagne au lieu d'impliquer un tas de sales gaillards comme nous. Et s'ils essaient de nous jouer un tour, hé ben... On verra ça le moment venu. On leur fera cracher toute la thune, aux clients comme au maire."


"Je le sens vraiment pas..." murmura Val, regardant aux alentours. Soudain, Shizune se mit à parler derrière lui.


"Là."


"Hein ?"


La Dévoreuse venait d'ouvrir la bouche pour la première fois depuis qu'ils avaient débarqué sur l'île. Elle ne semblait pas très à l'aise quand elle ne s'exprimait pas dans sa langue natale, liant maladroitement des mots pour essayer de se faire comprendre.


"Là dedans. Le vampire. Je sens."


Les exterminateurs se mirent à pâlir. Ils s'étaient rendus en cet endroit en sachant que le vampire s'y trouvait, mais la confirmation de Shizune rendait l'ambiance plus étouffante que jamais.


"...Alors comme ça tu peux sentir les vampires, hein ? Et comment ? Ils ne respirent même pas."


"Me crois pas ? Très bien."


Shizune répondit à la question de Cargilla par un silence méprisant. Elle se remit ensuite à fixer le cercueil, en se tenant derrière plusieurs exterminateurs, comme si elle le défiait du regard.


'Bon sang. Tu parles d'une frigide. Y'a bien que son joli minois et sa poitrine pour confirmer que c'est une fille et pas un glaçon.'


Tout en jetant quelques insultes dans sa tête, Cargilla se remit au travail.


"Quand à l'endroit de la démolition... Ouais. On peut passer par cette porte et sortir sur le balcon--non. Vaudrait peut-être mieux sortir sur la terrasse sur le toit. Tant qu'on peut s'installer quelque part sous un beau soleil brillant."


Les exterminateurs tirèrent le cercueil à l'extérieur avec des mouvements qui dénotaient l'expérience, mais qui semblaient un peu moins assurés que d'habitude. Ils avaient accompli cette même procédure à de nombreuses reprises par le passé, mais quelque chose n'allait pas aujourd'hui. Les détails bizarres ne manquaient pas dans ce boulot, mais il y avait vraiment trop de trucs étranges cette fois.


La Dévoreuse japonaise qui les avait rejoints soudainement avant la mission.

Les rues étrangement paisibles.

Le château majestueux fréquenté par les touristes, le genre d'endroit dans lequel aucun vampire ordinaire ne choisirait de rester.

Et le cercueil blanc, déposé là comme s'il avait été spécialement préparé à leur attention par un hôte prévoyant.


"C'est forcément un piège--"


"La ferme !" hurla Cargilla à l'adresse du nouveau, avant de réaliser qu'il essayait lui-même de contenir son inquiétude ; il se sentait encore plus mal à l'aise qu'avant.




Quand il avait reçu pour la première fois une mission d'extermination du patron de l'entreprise, il n'avait pas cru qu'il serait capable de tuer un vampire, ni même que les vampires existaient en premier lieu. C'est pour ça qu'il avait pu tranquillement traîner le cercueil jusqu'à l'endroit désigné, tirer les pieux explosifs à l'intérieur, et le faire exploser sous le soleil.


Exposée au soleil du désert, la créature qui se trouvait aux milieux des débris et des échardes de bois s'était tordue de douleur. Très vite, elle s'était durcie comme un bloc de sel et avait volé en cendres sans même s'enflammer. La première pensée paniquée qui lui vint en tête fut 'Une personne ?!' ; suivi d'un instant de terreur quand il réalisa que la créature n'était pas humaine. Mais ensuite suivit la satisfaction de la voir se dissoudre sous ses yeux.


'Je l'ai tuée--non, je l'ai exterminée. Cette créature inhumaine.'


Le temps de réaliser pleinement ce qu'il venait de faire, il était en train d'éclater de rire. Une créature qui aurait dû, en toute logique, être plus puissante que lui ; le genre de monstre tout droit sorti du cinéma et des légendes, venait d'être réduit en poussière sans pouvoir rien faire parce qu'il avait été attaqué dans son sommeil. Il n'avait jamais réalisé qu'une extermination pouvait être aussi satisfaisante.


C'était surprenant à quel point il était facile de détruire ces créatures. Durant la journée ils pouvaient cogner sur le cercueil ou le frapper aussi fort qu'ils voulaient, mais les vampires ne se réveillaient pas. Bien entendu c'était différent la nuit, mais ils n'étaient pas stupides au point de prendre un risque pareil. Les vampires ne possédaient pas d'identité enregistrée officiellement. Ils recevaient des remerciements pour les avoir éliminés, et la loi ne risquait pas de leur poser de souci. Les explosifs qu'ils utilisaient étaient juste assez pour un cercueil et une personne, alors l'explosion ne causait pas de problèmes tant qu'il n'y avait pas d'autres résidences extrêmement proches -- ce qui était peu probable, car les vampires résidaient rarement dans des endroits fortement peuplés.


Plus ils exterminaient de vampires, plus ils succombaient au plaisir de cette domination. Bien entendu, la plupart des gens qui embrassaient cette voie n'étaient pas entièrement sains d'esprit. Nombreux étaient ceux qui avaient déjà bossé en tant que mercenaires, comme Cargilla avant qu'il prenne la fuite, ceux qui rejetaient une vie ordinaire, ou ceux qui étaient de simple voyous sans talent ni ambition. À chaque fois qu'ils recrutaient de nouveaux exterminateurs, ils recevaient deux types de candidatures : les fanatiques obsédés par les sciences occultes, et ceux qui étaient prêts à tout pour de l'argent. Évidemment, c'était la deuxième catégorie qu'ils retenaient.


Les exterminateurs étaient perturbés par Shizune, mais peut-être qu'au fond ils se ressemblaient plus qu'ils ne l'auraient cru. La plus grande différence entre eux, cela dit, restait le calibre des vampires qu'ils avaient affrontés par le passé. Leur attitude témoignait de leur expérience. Cargilla était interloqué par la situation inhabituelle qui se présentait, mais Shizune restait sur ses gardes ; elle conservait son attitude familière. Elle était en alerte, prête à réagir à n'importe quel événement inattendu.


La chambre était directement reliée à la terrasse sur le toit du château. Six exterminateurs soulevaient le cercueil là-haut, tout en chuchotant nerveusement.


"Hé, tu trouves pas que le cercueil est... bizarre ?"


"...Ouais. Comme si quelque chose roulait dedans."


"J'ai l'impression de transporter un aquarium rempli..."


Quelque chose les dérangeait dans ce cercueil, mais ils ne pouvaient pas le lâcher à mi-chemin. Quand ils finirent par arriver sous la lumière du soleil, ils semblaient encore plus terrifiés par le contenu du cercueil que leurs camarades.


"Tch. Qui m'a fichu une bande de mauviettes pareilles ? Hé, démarre l'enregistrement," dit Cargilla.


L'un des exterminateurs alluma un vieux caméscope. Avec un whirr mécanique, la bande à l'intérieur commença à tourner. La vidéo qu'ils allaient filmer servirait de référence pour plus tard ; ils pourraient prouver qu'ils avaient bel et bien exterminé la cible. S'assurant du coin de l'oeil que l'enregistrement tournait, Cargilla baissa lentement la main pour saisir son talkie-walkie.


"C'est moi. Comment ça se passe de ton côté ?" demanda-t-il calmement. Son bras droit, qui était parti voir les clients, lui répondit.


[Aucun problème à noter, monsieur. Nous nous trouvons avec le couple et avec le maire aussi. Apparemment il a pris un jour de congé aujourd'hui.]


"Concernant les capacités du vampire. Le client a donné des détails ?"


[Rien du tout, monsieur. Le maire dit qu'il ne résiste pas au soleil, comme tous les vampires.]


"Je vois. Bon, je compte sur toi pour négocier nos tarifs, comme d'habitude."


Sur cet ordre qui mettait à mal sa crédibilité d'hommes d'affaires, Cargilla se tourna silencieusement vers le cercueil. Celui-ci brillait vivement sous la lumière du soleil ; inscrits en rouge sur le couvercle se trouvaient les mots, 'Gerhardt von Waldstein'.



Quarante-cinq secondes plus tard, plusieurs douzaines de pieux en bois furent tirés et transpercèrent le cercueil.



<==>



Les pieux, chacun faisant la taille de l'avant-bras d'un enfant, furent tirés dans le cercueil sans un bruit. L'équipement qu'ils avaient débarqués de leurs Breaks semblait tout droit sortie d'un film de SF de série B. L'arme qu'ils tenaient, fusion maladroite entre un propulseur de lances et un bazooka, était suffisamment grotesque pour ne pas jurer sur une scène, dans les mains d'un héros combattant des monstres géants.


Les exterminateurs se mirent en formation de combat simple, tout autour du cercueil sur la terrasse. Bien sûr, leur formation était désordonnée et maladroite, chaque membre prenant uniquement soin de ne pas se mettre dans la ligne de feu d'un autre.


"Allez ! Feu feu feu ! Tirez et faites voler vos doutes en morceaux !"


Cargilla leur cria les ordres, et les doigts des exterminateurs bougèrent sans hésiter. C'est comme s'ils avaient retrouvés leur résolution, oubliant la peur qu'ils ressentaient il y a à peine quelques instants. Avec un rugissement explosif faisant trembler l'air autour d'eux, des projectiles étranges s'éjectèrent des canons des armes invraisemblables. C'était des longs cylindres recouverts d'argent. Au moment où les cylindres touchèrent le cercueil, une explosion sèche retentit tandis que les cylindres tremblaient. Ils tombèrent au sol comme des douilles de cartouches, laissant les pieux blancs plantés là où ils avaient touchés. L'explosion servait probablement à creuser un trou dans le cercueil, et le cylindre propulsait le pieu à l'intérieur.


Au final, le cercueil ressemblait à un porc-épic. Cargilla leva un bras pour signaler aux autres de cesser le feu. Après plusieurs secondes de silence, une brise vint balayer la terrasse depuis la montagne. Une explosion sourde enveloppa le cercueil blanc.




Shizune Kijima observait la scène, les yeux écarquillés, tout en murmurant.


"Incroyable..."


Son exclamation, prononcée en japonais, contenait des traces de choc et d'admiration.


"Penser à remplir les pieux avec des explosifs..."


C'était vaguement nostalgique, comme si elle assistait à la mort d'un monstre lors d'un spectacle de tokusatsu au Japon. L'apparence froide et détachée de Shizune avait finalement été brisée, et son visage reflétait ses sentiments pour la première fois.


"Je n'avais jamais vu personne employer une puissance pareille pour une extermination..."


C'était comme utiliser une explosion nucléaire pour se débarrasser d'un unique extraterrestre. Sizune secoua la tête, l'ombre d'un sourire sur les lèvres.


'Je ne sais même pas par où commencer...'


Il y a encore un instant, elle regardait avec mépris ces exterminateurs qui évitaient sa présence. Mais en assistant à cette démonstration, elle se mit à ressentir une profonde pitié à leur égard.

C'était une impression qui la tracassait depuis le début. L'organisation de l'équipe était remarquablement bancale pour un groupe qui vivait de ce genre de boulot. L'autorité et le charisme de leur chef étaient risibles. Leur équipement était impressionnant mais complètement absurde, même pour des chasseurs de vampires. S'ils avaient survécu jusqu'ici, c'était uniquement parce qu'ils n'avaient affronté que des vampires extrêmement faibles. De misérables créatures indignes de leur nom, qui avaient laissé leurs cercueils être découverts malgré leur faiblesse fatale aux rayons du soleil. La seule chose qu'elle pouvait leur reconnaître, c'était leur capacité à dissimuler un équipement pareil aux douanes et le cran qu'ils devaient avoir pour continuer à bosser dans cette branche.


Voilà comment ils avaient survécu aussi longtemps, ignorés par tout vrai vampire qui se respecte. Shizune aboutit à la même conclusion que Cargilla, mais secoua la tête sans un mot. Leur équipe devait procéder ainsi depuis un moment déjà.


"C'est bon. On l'a eu ! Il ne reste même pas une seule trace du corps !"


"On y est peut-être allé un peu fort. Regardez-moi ce sang partout."


Shizune ressentit encore une pointe de pitié envers eux en les regardant discuter tranquillement.


'Tôt ou tard, les cris affolés vont finir par remplacer les plaisanteries.'


Elle savait exactement quel genre de catastrophe s'apprêtait à leur tomber dessus. Elle avait une parfaite maîtrise de la situation. L'aura puissante qu'elle avait ressenti un peu plus tôt enflait à une vitesse alarmante.


"Hé, c'est bon avec la caméra ? Tout est dans la boîte ?"


Cargilla fit un signe à l'exterminateur qui avait filmé la scène et sourit d'un air triomphant.


'Tranquille. Tout s'est passé comme prévu.'


Soulagé que la mission se soit terminée sans encombres, il sentit la tension quitter ses épaules et en profita pour sourire joyeusement à ses acolytes. Ses yeux se tournèrent ensuite vers Shizune, appuyée contre le mur séparant la terrasse de la chambre à coucher. Le malaise qu'il ressentait en sa présence semblait s'être évaporé. Il s'adressa à elle d'un ton facétieux.


"Désolé si vous le préférez saignant, Miss. Vous feriez mieux de lécher tout ce sang avant que ça s'évapore, et..." commença-t-il, avant de se figer.


Quand il réalisa finalement ce qu'il se passait, le silence régnait autour de lui. Les autres exterminateurs étaient estomaqués, comme s'ils assistaient à quelque chose d'inimaginable.



[Danke !]



Ce mot était écrit sur le sol en pierre. Chaque lettre faisait à peu près la taille d'une page de journal. Ça signifiait 'merci' en allemand.


Si les exterminateurs s'étaient figés d'ahurissement, ce n'était pas parce que les lettres venaient juste d'apparaître, ni même parce qu'elles tournaient de façon à ce qu'on puisse les lire de toutes les directions. Ce qui les terrifiait, c'est la couleur rouge écarlate dans lesquelles ces lettres étaient tracées, et le fait qu'elles soient constituées du sang qui avait jailli du cercueil détruit. Les lettres ne contenaient pas tout le sang qui était sorti du cercueil. Le reste avait formé une flaque tranquille légèrement à l'écart. Il y avait probablement suffisamment de sang pour remplir plus de la moitié du cercueil.


Cargilla fixait les lettres avec des yeux ronds ; Shizune également, mais avec une expression plus sérieuse. Et comme si elles avaient voulu s'assurer d'avoir capté l'attention de tous, les lettres se mirent à se tordre sur le sol comme du mercure et changèrent en des lettres complètement différentes.



[Thanks!]


[Merci !]


[Benefacis.]


[谢谢!]


[Grazie!]


[ありがとう !]


[Спасибо.]


[…..]


[…]



Tandis que les exterminateurs fixaient le sol d'un air confus, les lettres de sang continuaient à changer de forme. Elles formaient une suite de mots exprimant la gratitude ; ils ne savaient pas quoi faire sinon se tourner vers Cargilla en quête d'une explication ou d'une suggestion.


"R-restez sur vos gardes, bande d'abrutis ! Merde ! Ce serait vraiment un piège ?! Le corps doit être caché quelque part dans l'ombre ! Éloignez-vous du sang et faites gaffe aux alentours !"


Et au moment même où sa voix parvenait à tous les exterminateurs sur la terrasse, les lettres se déplacèrent pour fusionner avec la flaque de sang, en tremblant comme une créature vivante, et commencèrent à ramper vers le grand mur séparant la terrasse de la chambre à coucher. Le sang sembla s'accumuler au pied du mur un moment, avant de défier la gravité et de se mettre à grimper dessus. Les exterminateurs regardèrent, abasourdis, tandis qu'une longue phrase en anglais se formait.


[Toutes mes excuses. Je remarque que le chef de votre groupe s'exprime dans un anglais parfait, aussi vais-je moi-même poursuivre dans cette langue !]


Le sang du cercueil formait des lettres d'une écriture élégante sur le mur. Ce spectacle surnaturel avait coupé le souffle aux exterminateurs, mais le sang ignora leur réaction et se servit du grand mur comme d'une feuille blanche sur laquelle épancher ses mots avec son propre corps.


[Mille mercis ! Vous avez ma sincère gratitude. Aucun mot ne pourrait suffire à exprimer l'étendue de mes remerciements ! J'aurais fini par trépasser si j'avais dû rester enfermé plus longtemps dans ce sombre cercueil ! Je vous remercie infiniment de m'avoir accordé cette chance inespérée d'observer une fois de plus la lumière de l'astre solaire, Seigneur ! Satan ! Et vous braves Saints, qui m'avez libéré de ma terrible prison !]


Le sang prenait même soin d'employer des points d'exclamation pour exprimer pleinement sa gratitude. Cargilla et les autres n'avaient pas la moindre idée de la raison pour laquelle il les appelait 'Saints', mais peut-être était-ce en rapport avec les débris des pieux éparpillés par terre. Réalisant le tour que la situation avait pris, Cargilla se ressaisit et rugit à l'adresse de ses compagnons.


"Merde, on est mal barrés ! Son corps doit se trouver pas loin ! Trouvez le corps qui contrôle tout ce sang !"


Mais les lettres de sang se remirent à changer de forme sur le mur, comme pour le corriger.


[Que dites-vous, chers amis ? Je suis bien 'là', n'est-ce pas ? Ce sang n'est autre que moi-même, en chair et en os ! Je suis le sang, et ce sang est tout ce que je suis !]


Les lettres de sang insistaient sur leur autonomie, en écrivant même des apostrophes et des virgules.


"Quoi...?"


Tandis que Cargilla était abasourdi, les lettres de sang poursuivirent leur explication.


[Vous êtes libre de me croire ou non, mais si vous tenez à communiquer avec ma personne, je crains qu'il vous faille élever la voix. C'est à mon grand regret que je dois avouer ne posséder aucune aptitude télépathique.]


"Mais qu'est-ce que... Personne n'avait parlé d'un truc pareil. Qu'est-ce que c'est que ce délire...?"


Cargilla observait ses acolytes, en quête de soutien. La fierté qu'il avait exhibée sitôt après l'explosion s'était complètement évanouie. Il riait nerveusement, d'un ton oscillant entre l'incertitude et la stupidité.


[Ah, mais bien sûr. Je serais ravi de répondre à vos questions, alors n'hésitez surtout pas. Je me présente, Gerhardt von Waldstein ! Je suis le vicomte de Growerth, l'ancien seigneur de cette île, et présentement un vampire vivant à l'abri des regards !]


"Un vampire..."


[Mais de braves Saints comme vous deviez certainement avoir connaissance de ma condition au préalable, étant donné les pieux en bois que vous avez tirés dans mon cercueil. C'est bien ça ? Vu l'état du cercueil, je subodore que les pieux que vous avez employés n'étaient pas des morceaux de bois ordinaires, mais quoi qu'il en soit, je suis bel et bien un vampire. Je vous en prie, mettez-vous à l'aise. Je comprends que ma forme actuelle soit des plus étranges, mais il est inutile d'insister sur le sujet.]


"..."


Les exterminateurs s'entreregardaient, incertain quant à la manière de répondre à ces lettres rouge sang. Remarquant le silence qui s'installait, le vicomte autoproclamé du nom de Gerhardt fit disparaître les lettres sur le mur, et afficha de nouveau l'équivalent d'une page de texte.


[Je suppose qu'un signe de gratitude serait approprié. Si quoi que ce soit dans nôtre château pouvait vous satisfaire, servez-vous je vous prie ! Bien que mon humble demeure ne rivalise point avec la grandeur du Château Hohenzollern, honoré par Sa Majesté Impériale elle-même, je vous garantis qu'elle l'égale largement en grâce. Antiquités, peintures, tout ce qui vous intéresse est à vous ! Mais bien entendu, il serait fort peu courtois de vous exprimer toute ma reconnaissance par un simple don matériel. Cette bonne action mérite un geste similaire, alors si jamais vous deviez vous trouver en besoin d'assistance, appelez-moi sans hésiter !]


La façon archaïque avec laquelle s'exprimait le vicomte donnait l'impression à Cargilla et aux autres qu'on les prenait de haut. Essayant de suivre le sens de ces mots, les exterminateurs se regardaient l'un l'autre, complètement perdus. Mais une personne parmi eux refusait de rester silencieuse.

L'asiatique s'avança ; les mots sur le mur tremblaient comme s'ils l'observaient.


"Vous êtes Gerhardt von Waldstein, correct ?"


[C'est exact.]


Le 'Vous' prononcé par Shizune suffit au vicomte pour réaliser l'origine japonaise de la jeune femme. Il réagit immédiatement : en passant en caractères japonais, il inscrit une autre série de mots en bas à gauche sur le mur, juste devant elle.


[Ah, une splendide jeune dame nous arrivant du Japon, je présume. Vous seule semblez rester impassible face à mon apparence. Alors que recherchez-vous donc ? Celui-ci tient à vous assurer que Celui-ci fera tout ce qui est en son pouvoir pour vous assister.]


À l'instant où ces mots apparurent sur le mur, Shizune leva silencieusement la tête. En observant son visage, on aurait dit qu'elle retenait une grande quantité de colère et de rage. Mais par delà, c'était une espèce d'excitation et de curiosité envers la forme de vie devant elle qui transpirait. En dehors de ça, son visage était dépourvu de joie ; il était parfaitement neutre, comme si sa curiosité était purement scientifique.


[Hum...]


Alors que le vicomte écrivait même ses exclamations en japonais, Shizune prononça ces quatre mots.



"Je veux vous dévorer."



Juste après ces mots, elle disparut soudainement.


"Quoi-"


Durant la seconde qu'il fallut à Cargilla pour prendre sa respiration, Shizune avait bondi dans les airs. Pendant un instant, elle semblait s'être accrochée au mur, mais l'instant d'après elle se jeta en avant. Ses doigts agrippaient fermement le bord du toit.


"Ah... Qu-qu'est-ce que c'était que ça, monsieur ? ...Un monstre ?"


Val, le nouveau, avaient les yeux encore plus écarquillés que quand il avait vu les lettres de sang. Il était déjà au-delà de l'inquiétude et de la nervosité, frôlant la terreur panique.


"Lequel, le sang, ou la fille ?"


Val réfléchit un moment, puis marmonna "...Bonne question."


Les autres semblaient juste avoir remarqué que Shizune était partie, jetant un regard fou à sa recherche. Shizune elle-même, pendant ce temps, changeait d'orientation comme une araignée pour regarder vers le bas. Elle pêcha trois tubes à essai dans sa veste et les jeta sur la flaque de sang et vers les lettres sur le mur.


En tombant, les tubes heurtèrent une saillie sur le mur et éclatèrent. De chaque tube jaillit une substance : deux liquides et une sorte de poudre blanche. La flaque de sang en dessous évita adroitement les substances qui s'éparpillaient au petit bonheur sur le sol. Le sang se rétractait pour dégager précisément les endroits touchés par les liquides et la poudre ; c'était un peu comme regarder de l'eau couler au dessus d'une goutte de cire sur une feuille de papier. Plusieurs des exterminateurs regardèrent les substances par terre. L'une d'elles était transparente, sans odeur particulière ; l'autre était une mystérieuse substance qui brillait d'un éclat argenté. Elle gardait une forme circulaire, en tremblant légèrement comme une goutte d'eau sur un imperméable.


"De l'argent liquide...?" se demanda l'un des exterminateurs. Les lettres sur le mur se tordirent de nouveau, exprimant leur surprise.


[Bonté gracieuse, cette jeune dame croirait-elle par chance aux légendes affirmant que les vampires sont sensibles à l'argent ? Ce qui n'est pas entièrement faux, mais je tiens à préciser que l'argent liquide est en réalité du mercure, un élément totalement différent.]


"Essayez de lui dire, à elle..."


[Oh ? La jeune dame n'est donc pas une de vos braves Saints ? Veuillez pardonner ma méprise. Je ne souhaitais rien impliquer de particulier.]


Un moment après son excuse, la flaque de sang se souleva brusquement. Elle se tordit et remua comme un tourbillon, puis décolla vers le haut, passant par dessus Shizune. Dès qu'une extrémité du tourbillon rentra en contact avec la surface du toit, le reste fut entraîné à sa suite comme la base d'un ressort tirant le corps derrière lui. Shizune bondit à sa poursuite et se jeta plus loin sur le toit.




"Hein ?"


Les exterminateurs étaient tous restés figés sur place, frappés par la scène qui s'était déroulée sous leurs yeux. Mais Val brisa le silence.


"Euh, alors la fille et le sang ont tous les deux disparus. On fait quoi maintenant ?"


Sa question embarrassée ramena ses camarades à la réalité les uns après les autres.

Devant eux, un mur en pierre blanche dépourvu de toute inscription.

Derrière eux, un cercueil en bois blanc réduit en miettes.

Cargilla fixa l'un et l'autre, avant de se tourner vers l'exterminateur avec le caméscope.


"T'as tout enregistré ?"


"Oui, jusqu'à maintenant..."


"Efface la seconde partie."


"Hein ?" s'exclama le caméraman, confus. Cargilla tordit les lèvres dans un rictus, même si le reste de son visage ne suivait pas.


"Coupe juste après le moment où on fait sauter le cercueil. On va filer la vidéo au client, et on quitte l'île avant le coucher du soleil, peu importe la paie qu'on reçoit. Des objections ?"


Les exterminateurs s'entreregardèrent une fois de plus, puis attendirent que Cargilla continue.


"Pas d'objections, alors. Très bien. Allez, dégageons d--allons-y."


Cargilla sortit du château plus vite que tous les autres, ses camarades le suivant de près. Se rappelant la scène terrifiante d'un peu plus tôt, il eut un frisson et remercia en silence les exterminateurs de l'avoir suivi sans faire d'histoires. Il était sincèrement soulagé que personne n'ait dit 'Allez, suivons-la !'


'Bon sang. Heureusement que ces crétins n'ont aucun sens du timing."


"Ah, peut-être qu'on devrait aller aideeerghh..."


Cargilla plaqua sa main sur le visage de Val avant qu'il puisse finir sa phrase.


"Hm ? T'as dit quelque chose ?"


"...Rien du touuut, monsieurrrr..."



Coffin